22 août 2011

Sade et le cinéma

Ce n’était pas un mince défi que de s’attaquer – sérieusement – aux liens entre Sade et le cinéma. D’emblée, Jacques Zimmer précise qu’il ne s’agira pas de traiter du « sadisme » au cinéma (ce que d’aucuns ont déjà fait, partiellement), mais des œuvres qui se réclament explicitement de Sade. Deux volets sont analysés dans cette étude : l’œuvre et la vie de Sade, telles qu’adaptées par les cinéastes.


Fait intéressant, Zimmer ne se borne pas aux représentations cinématographiques, puisqu’il fait sans cesse dialoguer des sources écrites (récits de Sade, mais aussi éléments biographiques de spécialistes tels que Gilbert Lély), aspects historiques (notamment sur la censure), citations d’écrivains comme Flaubert… L’ouvrage, par ces liens originaux, donne donc lieu à une lecture fort stimulante qui porte à réflexions, entre autres grâce au sens des nuances de Zimmer. Ce dernier se plaît à rectifier des idées reçues ou des simplifications.

Un cas de figure majeur est constitué par les films qui narrent la vie de Sade. Les approximations, affabulations, erreurs chronologiques sont relevées – pas toujours comme des faiblesses des œuvres, d’ailleurs, car les qualités d’un film ne relèvent pas forcément de son adéquation au réel. Les apparitions plus ou moins farfelues du Marquis dans certaines œuvres sont aussi prises en compte, par exemple dans le film fantastique de Tobe Hooper Night Terrors.

La section de l’ouvrage consacrée aux adaptations des œuvres de Sade est aussi fort éloquente : elle montre bien la difficulté, pour les cinéastes, de représenter Sade, représentation qui se heurte sans cesse à une foule de problèmes : censure, limites du représentable, transfert problématique de l’écrit à l’écran, difficulté de faire « rendre » le texte sadien par les comédiens, etc., un cas patent étant l’adaptation que fit Claude Pierson de Justine, adaptation très fidèle qui, malgré tout, fut reçue avec perplexité ou méfiance par les critiques. On se rend compte aussi, à la lecture de l’ouvrage, que les adaptations de Sade ne furent pas si nombreuses et qu’un grand nombre d’œuvres du Marquis n’ont pas fait l’objet d’une transposition à l’écran.

Deux figures se détachent, celles de deux cinéastes que le Vatican jugea jadis comme les réalisateurs les plus dangereux du 20e siècle : Bunuel et Jess Franco. Si le premier est bien connu, le second, un maître de la série B, l’est moins du grand public. Zimmer fait clairement ressortir l’appropriation obsédante de l’univers sadien par Franco à travers ses adaptations, mais aussi à travers ses scénarios originaux ; le réalisateur espagnol déclina, tout au long d’une filmographie considérable, autant de variations sadiennes qui se fondent et se confondent en une sorte de long-métrage sans fin.

Zimmer a rencontré, pour l’ouvrage, plusieurs personnalités qui lui ont accordé des entretiens inédits, notamment Jess Franco et Jean-François Rauger, directeur de programmation de la Cinémathèque française. La conclusion du livre, elle, offre un vibrant plaidoyer pour un imaginaire libre.

Le lecteur qui connaît bien Sade ne sera pas déçu, puisqu’une foule de petits détails plus ou moins connus enrichissent l’ouvrage et permettent d’en apprendre plus au sujet de l’écrivain célèbre.

On signalera également un grand nombre d’encadrés qui permettent de fureter à travers l’ouvrage et d’obtenir un supplément d’informations sur divers éléments : résumés de romans, extraits de critiques de journalistes, changements dans la classification des films au fil des années, etc. Ces aspects renforcent la densité de l’ouvrage en question. Relevons, pour terminer, une agréable iconographie, dont 16 pages en couleurs au milieu de l’ouvrage.


4 commentaires:

Patrick a dit...

Eh ben dis donc, d'être tombé par hasard sur ce bouquin, de le feuilleter pour y voir de belles surprises enthousiasmantes et d'être incapable de résister à un achat impulsif, ton texte me rassure sur ma dépense. Ne reste plus qu'à le lire (haha!), mais ça promet. Ton compte-rendu donne envie de se jeter dessus.

Frédérick a dit...

Zimmer a fait un très bon travail. C'est un ardent défenseur du cinéma de genre, d'ailleurs, qui met une plume intelligente au service de ces films !

Merci pour les bons mots.

J'ai hâte de te revoir en personne, cher Pat !

Doc Triton a dit...

Soledad Miranda vaut à elle seule le visionnement des adaptations de Sade par Franco (commentaire superficiel du jour).

Frédérick a dit...

À ce propos, on peut regretter que Franco n'ait pas pu terminer son adaptation de "Juliette" avec Soledad Miranda dans le rôle principal. Je serais quand même très curieux de voir le métrage qu'il a eu le temps de tourner, mais les bobines en question ont-elles été détruites ? Bonne question !